Nar Zahan, nouveau monde.

La création de l'univers.

Commençons par le commencement : jamais je ne me suis dit « Tiens, j’ai fait mes devoirs et j’ai deux heures devant moi avant le diner, et si je me créais un autre monde ? » La création de Nar Zahan s’est faite sans planification, sans projet d’ensemble, sans suivre de master-class d’écrivains célèbres. Elle s’est faite doucement, tranquillement, à son petit rythme, naturellement. Et ce petit ailleurs est devenu un vaste nouveau monde, un dessin après l’autre.

Le Puzzle

La drôle d'occupation d'une jeune fille...

Nar Zahan est né en 2003, après deux ans de gestation.

Les souvenirs de cette époque sont flous. Née en 1987, j’avais 13 ans en 2001 et j’entrais dans l’adolescence. Solitaire, différente sans en saisir toutes les raisons, incapable de trouver ma place parmi les enfants de mon âge, que je ne comprenais pas et qui ne me comprenaient pas, trop jeune pour être acceptée parmi les adultes, j’errais dans un système éducatif qui ne m’épanouissait pas. Je passais pour une cancre sans pourtant me sentir particulièrement stupide… Le collège était ingrat et cruel avec moi. Et je suis reconnaissante d’avoir précédé de peu l’époque des réseaux sociaux, le harcèlement dont je faisais déjà l’objet aurait pris alors une tout autre tournure…

Sans ami et sans espace rassurant me permettant de me sentir à l’aise, j’ai inventé ce qui me faisait défaut. Et contrairement à nombre d’enfants dont les amis imaginaires disparaissent avec l’âge, la « famille » que je m’étais créée s’est étoffée au fil des ans, et leur « maison » avec eux. 

Seule dans ma chambre, je les imaginais dans leurs chez eux, prenant tour à tour la place des uns et des autres pour les faire vivre, parler, interagir, comme j’aurais joué une pièce de théâtre improvisée dans laquelle j’incarnais chaque rôle. Moi, Solène, je ne faisais pas partie de l’histoire. J’étais eux. Chacun d’eux. 

Les modèles sur la boite et les premières pièces posées.

On me prête bien des inspirations… Dans leurs spéculations, rares sont ceux qui visent juste (nous y reviendrons).

Planter le décors...

Au début, au tout début, il y a une série de jeux. Plus jeune, j’ai été bercée par leurs musiques, leurs graphismes et leur ambiance. Ils m’ont imprégnée, ils ont comme infusé dans la psyché de l’enfant que j’étais. Un seul mot les résume : Myst.

dessins vitraux - Myst III Exile, par Presto Studios, chez Ubisoft

Sorti en 1993, le premier chapitre de ce qui allait devenir un monument de l’univers vidéoludique nous invitait à la découverte contemplative d’un chapelet d’îles, étranges univers oniriques reliés les un aux autres par des livres. Résolvant des énigmes, nous comprenions peu à peu notre rôle dans la lutte entre deux frères désabusés et leur père, doué de la capacité d’écrire des livres permettant de transporter celui qui les touchent dans le lieu qui y est décrit.

Tout m’a attrapé. Les décors, la quasi absence de « PNJ », l’invitation au calme et à la réflexion, et surtout l’idée que si un monde est décrit dans un bouquin alors peut-être existe-t-il vraiment quelque part…

Myst a planté une graine en moi et cette graine a doucement germé.

Ce « jeu » a aussi intensifié mon goût pour les vitraux en leur offrant un écrin inédit. Moi, jusqu’alors, je les croyais restreint à l’usage religieux et j’adorais les églises pour cela. Mais en fait, ils pouvaient prendre une toute autre envergure, une fois sortis des entraves des représentations ecclésiastiques. À motifs géométriques, floraux ou végétaux, de grandioses, ils devenaient merveilleux et inspirants !

Pour y poser le premier Zahane...

En 2001, mon frère et moi avons eu la première et unique console de jeu de notre enfance. La Dreamcast. À peine l’avions nous achetée que Sega en arrêtait la production. Nous nous sommes procuré peu à peu les jeux disponibles et en avons usé le lecteur de la console durant des années. Mais de tous ces jeux, le seul qui m’ait vraiment marqué, et qui est le point de départ de Nar Zahan, c’est Soul Reaver : Legacy of Kain.

Dans un monde en pleine décrépitude, nous incarnons Raziel, un vampire déchu et torturé, qui avance autant en quête de vengeance que de restauration de l’équilibre. 

Encore une fois, tout dans ce jeu m’a emporté. L’atmosphère déliquescente, le monde spectral tordu, les ennemis dont l’élimination est plus réflexive que bourrine, l’aspect des vampires, enfin réaffirmés dans leur nature à la fois hideuse et séduisante, et surtout le protagoniste, Raziel, être ravagé à l’image de son monde.

De Raziel à Azriel, il n’y a qu’un pas. Une petite lettre a sauté ce pas, et de A à Z, m’a ouvert les portes d’un autre monde.

Ses yeux jaunes, ses cheveux noirs, ses mains à trois doigts griffus, ses pieds sabots, et sa nature, splendide et sauvage, dangereuse et irrésistible… 

Nous étions alors en 2003. Bien sûr, tout a été affiné, mais Azriel (le premier Savzean) était là. Et il est venu rejoindre l’embryon de famille qui avait éclot deux ans plus tôt…

Après y avoir placer le premier Codicille...

En 2001 est sorti le film qui est resté pour moi, et des années durant, « The One ». Indétronnable aventure épique dans la France du 18 éme siècle, mettant en scène des monstres du cinéma français sous la baguette (un peu magique) d’un maestro de la réalisation, « Le pacte des loups » m’a envoutée. Vu avant de découvrir Raziel, c’est lui qui m’a amené à la création du tout premier personnage de Nar Zahan : Joshua.

Christophe Gans nous racontait ici l’histoire de la bête du Gévaudan, suivant une hypothèse un peu fantasque et plus vraiment admise aujourd’hui. En effet, si, à l’instar de l’identité de Jack l’éventreur ou de celle du Zodiac, le mystère de la bête n’est toujours pas élucidé à ce jour, les spécialistes de la question s’accordent sur l’idée que la théorie mise en avant dans le film est l’une des moins probables. Mais peu importe ! C’est du grand cinéma de fiction, beau et bien fait, enthousiaste, épique, assumé, et qui ne s’est jamais prétendu historiquement juste !

Partant sur la spéculation du complot sectaire local, le réalisateur a fait le choix audacieux d’aller chercher un ancien acolyte de travail pour jouer un personnage parfaitement fictif. Marc Dacascos, acteur ispano-irlando-sino-philippino-nippon né à Hawaï (le type est une carte du monde à lui tout seul !), endosse donc le rôle de Mani, un indien Mohawk rencontré en Nouvelle-France par le héros Grégoire de Fronsac, incarné par Samuel Le Bihan, et ramené sur les terres du Gévaudan pour participer à l’enquête. Et moi, Mani, je l’aime ! Rien que par sa présence, il secoue les puces des vieux de la vieille aristocratie franchouillarde qu’il côtoie. J’adore ! Il est proche de la nature, insaisissable, peinturluré et tatoué : il fait tâche dans un monde plein de conventions et d’interdits. Merci Mr Gans. Mani m’a poussé à m’intéresser aux indiens d’Amériques.

Et à créer Joshua : un ado d’origine amérindienne, doué de pouvoirs psy qui le relient à la terre, à la nature et aux animaux. Ses pouvoirs de « chaman » le contrôlent plus que lui ne les contrôle, alors il apprend à se maîtriser, dans une École spéciale dont le directeur est une sorte d’ange (j’ai toujours aimé les anges), Gabriel. 

Azriel viendra les rejoindre deux ans plus tard comme « garde-chasse » de cette École, occupé à assurer la sureté des élèves et professeurs dans l’enceinte de la structure, face à une nature hostile, empirée par une créature apparue en rêve entre temps : le sorssio.

Nar Zahan était née.

La couleur de la boite du puzzle et ce qui n'y était pas...

Au fil des années, les gens ont plaqué sur Nar Zahan nombre d’inspirations qui n’en sont pas. Certaines paraissent plus pertinentes que d’autres, mais aucune n’a fait parti du processus créatif. Et d’ailleurs, ces étiquettes, collées à la va-vite sur un coup d’oeil rapide, sautent lorsque la lecture commence. Je ne saurais lister ici toutes les oeuvres que l’on a présumé être à l’origine de la mienne, car, souvent, j’en ignorais jusqu’à l’existence et je n’en ai pas gardé le souvenir.

Étant Dys, je n’ai jamais été férue de littérature, qui m’était un domaine inaccessible. Aussi, ma culture fantastique est venue par les quelques jeux video qui ont pu m’atteindre malgré la quasi absence de support à leur lecture (nous n’avons eu qu’une seule console, déjà obsolète à sa sortie, et que des ordinateurs Mac, donc peu destinés aux jeux), et quelques films et séries, ceux que j’avais le droit de regarder.

Pèle-mêle, dans mon environnement culturel d’enfant et de jeune ado (années 90 et début 2000), il y avait Star Wars (les deux premières trilogies), Mad Max (le deuxième, déjà fort violent…), Retour vers le futur (le troisième, au far-west), Casper (revisionnez-le, juste pour la merveille d’architecture qu’est Whipstaff. Et non, ce manoir n’existe pas, c’était juste un décors pour le film !), Buffy contre les vampires (puis, plus tard, le spin off, Angel), Le seigneur des anneaux (les films), les premiers films Xmen, Men in black (le premier), Aladin, Skies of Arcadia, La belle et la bête, Harry Potter (livres et films), Dracula (livre de Stoker et film de Coppola), SoulCalibur, Master and commander, Le nom de la Rose (le film de Annaud), Les visiteurs, La reine des damnés (livre et film), Matrix, Troie, Tarzan (la série de 2003), Entretien avec un vampire, et un manga coréen, Chonchu. Et il y a sûrement un peu de tout ça aussi dans Nar Zahan.

Mais, là, j’ai fait le tour. Bien sûr que j’ai vu plus que tout ceci, et que je ne pourrais être exhaustive quand aux oeuvres filmiques, cinématographiques et videoludiques auxquelles j’ai eu accès dans mon enfance. Mais cette liste contient tout ce qui m’a marquée, tout ce que j’ai vraiment aimé.

Ainsi, sémillant lecteur, vous le saurez, si ce n’est pas dans cette liste, ça n’a pas fait parti du processus créatif de Nar Zahan, ni de manière franche comme pour Soul Reaver, Myst et le Pacte des Loups, ni de manière plus ‘diluée’, comme pour toutes les autres oeuvres citées.

Et c’est ainsi que j’en viens à LA référence qui n’en est pas une, L’inspiration qui n’a pas été la mienne, j’ai nommé : 

Le règne du feu.

Non, je rigole… 

Avatar. 

C’est Avatar qui revient constamment comme comparaison esthétique de Nar Zahan. Ceux qui me côtoient savent ce que je pense de cette oeuvre de James Cameron. Et mon avis a sûrement été rendu plus incisif encore du fait de cette perpétuelle référence évoquée par les curieux qui découvrent mon petit monde, surtout lorsque cette découverte passe par le regard (jaune) du sorssio (bleu). Avatar est sorti en 2010 et pendant les presque dix ans qui ont suivi, c’était inévitable, la référence était balancée en cinq secondes à chaque fois que je montrais mon travail, répétée en boucle jusqu’à l’écoeurement.

Alors voilà, c’est dit, c’est clair : Nar Zahan s’est construit SANS Avatar et l’a précédé de plusieurs années.

Maintenant, je comprends une chose. J’avais fini par mal prendre cette comparaison étouffante avec une oeuvre que je ne porte pas particulièrement dans mon petit coeur. Mais finalement, peu importe. Avatar est devenu (je ne sais trop pourquoi) le mètre étalon de la création fantastique (RIP Tolkien, Mellies, Welles et tous les autres, j’espère qu’on en reviendra quand même, en mémoire de tous les auteurs et de toutes les oeuvres qui étaient là avant et qui n’ont franchement rien à envier au film de Cameron). Alors quand les curieux disent « ça ressemble à Avatar » en n’ayant vu de Nar Zahan que deux visuels (un sorssio et le visage de Koma, le héros d’Intrusion Parallèle), en fait, ils se réfèrent surtout à un truc qu’ils ont adoré, qui les a marqués durablement et les a fait voyager en couleur hors de leur quotidien, et donc, c’est très positif.

Je ne suis pas d’accord avec leur point de vu sur Avatar, mais ce que cette référence signifie pour eux en fait un compliment sur la première impression que laisse ma création.

Voilà, digression terminée ! Désormais, vous savez ce qu’il en est, et vous pourrez même vous amusez à chercher par ci, par là, ce qui dans Nar Zahan peut vous faire penser à telle ou telle oeuvre de mon enfance.

Ah oui, pour finir, je suis une passionnée d’Égypte antique (je voulais être Égyptologue, ou restauratrice d’artefacts antiques… ou médecin légiste…), d’Histoire, et des vies d’Akhenaton, d’Alexandre le Grand et de Napoléon. Et quand j’écris, j’écoute des musiques d’inspiration viking (Danheim, Wardruna, A Tergo Lupi et bien d’autres), des musiques africaines (Salif Keita, Youssou N’dour, et beaucoup d’autres), la musique de Jean Mouton (Jehan de Houllingue, arrière grand papy), et parfois Two Stepp From Hell (depuis 2017) et Deep Forest (depuis toujours).

Sur un puzzle, normalement, on commence par les bords...

Alors, oui, en effet, c’est souvent ce qu’on fait. Les bords, c’est facile à poser, les pièces sont identifiables rapidement, d’un coup d’oeil on les reconnait, et comme elles sont en quantité limité et minoritaire, en peu de temps, on les trie, on les assemble et on clôture l’image. Avec Nar Zahan, je n’ai jamais mis la main sur la moindre pièce de bord. Je n’atteins jamais ses limites. C’est comme un horizon, je peux me diriger dans sa direction aussi longtemps que je veux, je ne saurais l’atteindre. Il n’y a pas de bord. Aucune limite.

Ce puzzle est aussi vaste que je le souhaite et que je ne saurai le transcrire. C’est vertigineux et parfaitement enthousiasmant. 

Dans ce cas, travaillons par zones !

Voilà, c’est ça. Les couleurs, les décors, les formes… Certains éléments découpent un puzzle en zones et c’est bien ainsi que Nar Zahan a évolué. Par morceaux. 

Le premier morceau, c’était ma nouvelle « famille ». Ceux qui devaient à l’avenir s’appeler les Ze∂en. Les premiers Savzean. Azriel était né avant les autres, mais au bout de quelques temps, il a cessé d’être seul. Le nom « Savzean » est apparu en 2003, puis en 2004 ont été posées les pièces « Uriel », « Elia » et « Rhorn ». Ensemble, ces quatre personnages ont formé cette famille de pièces éparses et collées les unes aux autres par les aléas de leur vie contrariée (même si j’ignorais encore ce qui avait été si contrariant). 

Parallèlement, un autre groupe de pièces s’est développé : les anges. Gabriel vit se joindre à lui Raphaël, Samael et Anael. Si cette dernière a disparu, les trois autres ont gagné en envergure et en importance, chacun à leur manière.

Narzen a rejoint les rangs savzen, et l’année suivante, en 2005, Sylen, d’électron libre, a achevé la construction de cette « famille ».  À sa naissance, déjà, les prémices de la société Zahana avaient agrandi considérablement la zone déjà entamée, au point de me donner envie de décrire cette première image globale qui s’était développée devant mes yeux. 

Une fois les personnages en place, tout le reste s’est installé, et la zone s’est encore élargie. La rédaction d’Intrusion Parallèle a établi de nombreux nouveaux espaces de pièces colorées qui ont encore étendu l’univers qui se dévoilait doucement. Des pièces en forme d’animaux, d’autres plus complexes illustrant des concepts spirituels, tout une partie à part entière consacrée à la carte du monde… Petit à petit, le tableau progressait, toujours plus loin, partant parfois dans des directions surprenantes et poussant des figures inédites au delà d’où je pensais trouver un bord, me confirmant leur absence.

Quand les pièces tombent du ciel...

C’est là le mystère de cet ailleurs. Parfois, il fonctionne sur sa propre énergie interne, sa propre cohérence et abouti seul à des gestes, des mots, des environnements nouveaux, sans que ma volonté n’ai été engagée. Depuis le début, depuis l’apparition des Sorssio, il s’est parfois affranchi de la main de son maître. Et gagnant en couleurs, en illustrations, en taille, ses moments de grâce sont devenus plus courants.

Ces instants où, flottant avec légèreté dans l’air, des pièces ou des secteurs entiers du puzzle apparaissent d’eux-mêmes et viennent trouver leur place dans l’ensemble, comblant des lacunes ou ouvrant avec cohérence de nouveaux axes créatifs.

Numéa...

Numéa, dame de l’Aksien parée de perles brillantes sur sa peau de cuivre, était au nombre de ces cadeaux inattendus. Je n’aimais pas son nom. Pourquoi fallait-il qu’elle porte ce nom ? Oh, il est très joli et d’une sonorité on ne peut plus Zahana. Mais moi, j’entendais Nouméa, dans notre océan Pacifique, terre paradisiaque de récolte des perles noires. Cet élément Zahane s’était imposé de lui-même, sans que je n’aille m’inspirer de ce lieu Terrien, alors pourquoi ce nom ?

Parceque Numé-a. « Numé » signifie individu en Zahane. Et le « a » place l’accent sur le genre féminin. En d’autre termes, Numéa pourrait être traduit par « Elle », ainsi que l’on nommerai une femme si sacrée qu’on ne saurait l’humilier d’un nom commun… Numéa…

Comprendre la logique interne de ce nom, basée sur des éléments déjà mis en place depuis un moment (je n’ai pas inventé « Numé » ou « a » pour coller à la situation et lui trouver une solution, cela existait déjà), m’a stupéfaite. Et me prête encore aujourd’hui à sourire. J’aime que ma création m’échappe de cette manière !

Lindjele...

Autre instant de grâce remarquable, la vision du lac du Lindjele. Je l’avais placé sur la carte, mais ce n’était qu’un lac comme un autre, au milieu d’un décors de pampa semi-désertique.

Et une nuit, en rêve, je me suis retrouvée sur ses rives. Je savais que j’étais au bord du lac du Lindjele, sur Nar Zahan. Je le savais. Pourtant ce lieu ne m’avait jusqu’alors pas du tout interpelée. Ce n’était qu’un point sur la carte parmi nombre d’autres, dont beaucoup étaient bien plus marquants. Du moins était-ce ce que je croyais jusque là… Dans mon rêve, je regardais ce lac, sans me poser la moindre question (pourquoi lui ? Qu’est-ce que je fais là ? Quitte à être en rêve sur Nar Zahan, pourquoi pas ailleurs ?) et une chose s’est produite.

J’ai vu les eaux de ce lac disparaitre, son niveau baisser pour ne laisser que la vase, les algues et les poissons agonisants à la chaleur de Soï. Une éternité plus tard, les eaux sont revenues, silencieuses, pures et fraiches, reprenant leur place et réanimant la vie qui pouvait encore l’être.

Les émotions ressenties dans ce rêve m’étreignaient encore au réveil et leur souvenir reste vivace des années après. La froide impuissance au retrait des eaux, cette impression écrasante de n’être rien qu’une poussière de plus dans un désert désormais sans vie. Puis la joie immense, la félicité exaltée à leur retour, l’humilité aussi devant le mystère de leur discrétion et leur perfection. Jamais je ne saurai transmettre avec justesse mes sentiments de cette nuit si particulière.

Et non, je n’ai rien fumé d’étrange le soir précédent. Ni bu.

À ces deux occasions, Nar Zahan a gagné en profondeur comme de sa propre volonté. Des ensembles de pièces possédant leur cohérence interne sont venus agrémenter le vaste puzzle de l’univers en constant développement, entrant en résonance avec tout ce qui était déjà posé et contribuant à l’harmonie et la complexité générale. Et ce ne sont que deux exemples. 

Ces moments, qui me touchent, me remuent et m’attendrissent, cristallisent ce pourquoi je poursuivrai cette aventure. Inlassablement, j’ajouterai des pièces au puzzle, aussi longtemps qu’il me sera offert le privilège et le bonheur de continuer.

Pièces perdues...

La plus grande frustration lorsque l’on assemble les pièces d’un puzzle, c’est de comprendre que certaines sont manquantes. Elle ont disparu, mangées par le chien, poussées sous un meuble par le chat… Cette déconvenue m’a touchée plus d’une fois dans la conception de Nar Zahan. Des pièces, voir des zones entières, se sont volatilisées. Elles sont perdues.

Ma mémoire est un espace d’archives complexe, possédant ses propres codes de fonctionnement qui m’échappent souvent. L’archiviste qui en gère l’accès se montre facilement capricieux, parfois débordant de bonne volonté et heureux de rendre service, d’autres fois particulièrement réfractaire à toute sollicitation et totalement dissident. Il lui est même arrivé de faire grève ! Après, comment ne pas le comprendre ? Il doit gérer des archives protéiformes, faites d’une succession de couloirs encombrés et de salles pas toujours bien éclairées, contenant les presque quatre décennies de mémoires embrouillées d’une Terrienne ET l’Histoire (grand H)  d’un monde, que dis-je un monde, d’un univers en constant développement ! Avec ses lieux, ses événements, ses races, ses personnages qui ont chacun leur vie, leurs souvenirs, leurs émotions, leur personnalité… 

Alors, oui, parfois, l’archiviste craque et envoie tout valser ! 

Il m’est arrivé à de nombreuses reprises de voir, de sentir, de toucher du doigt un nouvel élément de cet ailleurs, une nouvelle pièce parfaitement ciselée pour combler une lacune, une nouvelle zone ouvrant sur un horizon inexploré… Je l’avais là, juste devant moi, mais impossible de prendre note (je conduis, je suis sous la douche, je travaille, je dors, je suis en rendez-vous…) Ou pire, la note est prise, mais elle est incomplète (une erreur ancienne et que je ne fais plus !). Et l’archiviste, ce goujat d’archiviste… Je le sais, moi, que le greffe-artiste des archives à fait son boulot, je le sais que tout a été écrit, décrit et que les pièces ont été peintes et découpées, je le sais que l’archiviste à reçu le dossier avec les nouvelles pièces et l’a rangé, mais lui refuse de m’en redonner l’accès ! Un refus catégorique, sans condition, c’est non et ça restera non !

Dans ma mémoire, il y a au moins un grand meuble classeur (si ce n’est une bibliothèque entière, voir une salle complète) rempli à raz-bord de pièces qui n’ont pas rejoint le puzzle et ne le rejoindront jamais, parce que je n’ai pas la clef d’accès à ce pan de ma mémoire qui est donc condamné. Certaines de ces pièces ne sont que des détails, mais d’autres… D’autres m’auraient conduite bien plus loin encore dans l’exploration de mon ailleurs. 

Un exemple ? Zephkiel. Voilà. C’est tout ce qu’il me reste. Ce nom, assorti sur une carte à l’emplacement d’un palais au beau milieu d’Erzan. Et la carte date de 2004 ! Un palais ? À Erzan ? Donc, c‘était un Ze∂e*. Un Ze∂e ! Et je l’ai perdu ! Il a disparu, mis aux scellés dans les archives interdites. Un Ze∂e… J’ai aucune idée de qui c’est, de son rôle, de son lien avec les autres Ze∂en… Quand je suis retombé sur la carte et que j’ai lu son nom, j’ai froncé le sourcil. Zephkiel ? Mais t’es qui toi ? 🤷

Bon, après, en l’état actuel de l’univers, je doute d’avoir assez d’une vie pour tout écrire, tout dessiner et tout transmettre. Alors, tant pis pour ce qui ne sera pas… J’ai suffisamment à faire avec ce qui est déjà !

. * : Un Ze∂e, c’est un chef, un personnage majeur dans la société Zahana. Bon, si j’ai pu oublier celui-ci, c’est qu’il n’était pas si majeur que ça ! Mais quand même ! Zut ! Un Ze∂e…